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Photo du rédacteurJeremy

Le plus grand riff de blues


Certains affirment que le genre a joué le rôle de précepteur pour la musique contemporaine, tandis que d'autres le considèrent comme éteint. Le blues puise ses racines dans l'histoire de la musique afro-américaine, émergeant des chants des travailleurs pour devenir l'un des genres les plus influents de tous les temps. Il met en avant les émotions de l'interprète, en utilisant abondamment le vibrato pour teinter l'atmosphère d'une mélancolie particulière. Cependant, le blues est souvent associé à la liberté, ayant inspiré de grands artistes tels que B.B. King, Willie Dixon, Howlin' Wolf, Robert Johnson, Muddy Waters, et même Eric Clapton, qui a débuté sa carrière dans ce style. Et qui dit grands artistes, dit aussi grands riffs. C'est précisément le sujet de cet article que vous avez sûrement déjà entendu. Ces riffs emblématiques se retrouvent dans de célèbres morceaux et tous les musiciens les ont déjà joués, séduits par leur simplicité et leur efficacité. Je vais vous conter leur histoire, vous révéler comment j'en ai fait la découverte, ainsi que les multiples facettes entourant ces grands riffs que l'on pourrait qualifier comme étant les "plus grands riffs de blues".


Je vous parle de riff mais je vais avant tout définir le terme, c'est tout simplement une suite de notes très reconnaissable et qui a tendance à vous rentrer dans la tête, sans vouloir en sortir.

Par exemple dans Smoke on the Water, vous reconnaissez forcément cette phrase qui vous donne envie de rouler en Harley Davidson sur la route 66. Elle est assez souvent répétée durant le morceau, ce qui le rendra très difficile à l'exfiltrer de votre cerveau.


Mais ce n'est pas de Smoke on the Water dont il est question aujourd'hui, voilà le cheminement qui m'a amené à vouloir vous raconter l'histoire de ce riff:

Un jour ( comme le début d’une belle histoire ), écoutant ce morceau:

Après courte réflexion, je me dis qu'il y a forcément quelque chose derrière, que c’est sûrement un sample. Après une longue recherche dans mes longues playlists. Je tombe alors sur ma playlist Blues colorée de B.B King, Robert Johnson et même Mamie Smith. J'y trouve alors ce morceau que j’ai maintes fois écouté pendant mes douces et joyeuses sessions de cuisine:



Et là c’est le déclic: - Mais c’est un vrai standard de Blues ce truc? Dans ma somptueuse grotte rempli d'art pariétal je suis tombé sur un trésor enfoui.

Je ne m'imaginais pas quelle influence a eu le morceau sur le monde, je l’écoutais en toute innocence en étant pris par cette phrase entraînante.


Malgré ma trouvaille, je n'arrive toujours pas aux origines. Je continue alors de fouiller et je découvre que ce morceau est une réponse, à un certain Bo Diddley suite à ce single:


Ça y est, je crois le tenir, mais à mon grand désarroi ce n’est toujours pas le morceau original. En effet l'arbre généalogique de ce single est assez long à remonter. Mais la persévérance paye et je tombe sur une autre version de Muddy Waters:

Ma naïveté me fait croire pendant un moment que c'est la racine. Que l'arbre n'a pas été planté plus profond alors que... :


Je m’arrête là, même si c’est un sample d’un morceau de Bach je ne veux plus aller plus loin…

Après ce travail de recherche, je profite pour bien tout écouter et me faire plaisir. Et des questions me viennent : Pourquoi est-ce que Muddy Waters a donc fait trois versions de cette chanson? Quelle est l’histoire de ce morceau?


Pour commencer, il faut parler de deux hommes, Willie Dixon et Muddy Waters.

De 1946 à 1951, Willie joue avec son groupe Big Three Trio en tant que bassiste. Suite à la dissolution de ce groupe, il travaille pour le label Chess Records en tant qu’arrangeur de session

Dixon à la contrebasse
Photo de Willie Dixon

Ses compositions ne portent pas grand intérêt au début, mais en 1953 après le morceau Third Degree finalement enregistré par

Waters à la guitare
Photo de Muddy Waters

Eddie Boyd qui rentre dans les charts, il commence à prendre de l'influence.

De son côté, Waters est depuis 1947 un élément à succès de Chess Records avec des morceaux comme Gypsy Woman. Il chante dans la Nouvelle-Orléans en Louisiane. Pour l’anecdote, il espérait acquérir une amulette mojo ou hoodoo issues de croyances qui auraient des pouvoirs magiques tout ça pour: "to show all you good lookin' women just how to treat your man" d’après ses mots qui disent que ce serait pour montrer à toutes les belles femmes comment traiter votre homme ( la masculinité à cette époque ). En septembre 1953, il enregistre un morceau écrit et composé par Willie Dixon: "Mad Love (I Want You to Love Me)" qui devient un succès. C’est la première apparition de ce fameux riff à 5 notes.


Partition de Hoochie Coochie Man

Cela a tout de suite pris, c’est devenu très vite un petit succès.

Par la suite, en novembre de la même année. Dixon approche le directeur du label Leonard Chess avec cette fois-ci “Hoochie Coochie Man”.

Femme qu"on surnomme Hoochie Coochie Girl
Hoochie Coochie Girl

Pour contextualiser, le hoochie coochie est un terme apparu au 19ème siècle. Il désignait une danse sexuellement provocante. c'était une danse exécutée par des femmes ou présentée comme ayant un héritage gitan du Moyen-Orient ou d'Europe de l'Est, souvent dans le cadre de spectacles itinérants. Étant donné que la danse était exécutée par des femmes, un homme qu’on appel hoochie coochie , les regardait ou dirigeait le spectacle.


Dixon lui, interprète le hoochie coochie man comme un clairvoyant toujours en lien avec les croyances hoodoo qui sont très ancrés dans le folklore du sud des Etats-Unis à cette période.


Il décide donc d’approcher Waters alors qu’il jouait avec son groupe au Club Zanzibar à Chicago. Selon Jimmy Rogers, son deuxième guitariste, Dixon est venu pendant l’entracte montrer sa composition et Muddy s’en est imprégné, il l’a ensuite essayé sur scène. Convaincu, ils enregistrent le morceau le 7 janvier 1954.

Partition en entière
Partition de Hoochie Coochie Man

"Hoochie Coochie Man" est un morceau qui suit une progression de blues à seize mesures , qui est une extension du modèle bien connu de blues à douze mesures . Dixon a expliqué que l'expansion du blues à douze mesures était en réponse à l'amplification, ce qui donnait aux instruments plus de sustain. Les mesures supplémentaires augmentent également l'effet contrasté de la figure musicale ou du riff répété à l'arrêt. Les différentes textures donnent à la mélodie un fort contraste, qui aide à souligner les paroles. La chanson est interprétée à un tempo de blues modéré (72 battements par minute ) .


De ce qui est des paroles, comme je l’ai expliqué précédemment, le hoochie coochie man a aussi des interprétations folkloriques. Dixon et Waters sont partisans de ces croyances. Dans le texte on peut interpréter Muddy comme étant le narrateur, qui se vante de son effet sur les femmes grâce à hoodoo ( son bracelet )”


He gonna make pretty womans Jump and shout Then the world wanna know What this all about

Hormis le message quelque peu macho qu’on peut y voir, selon certains historiens musicaux comme Ted Gioia, cela aurait un aspect sociologique. Ce serait une affirmation de leur identité dans un contexte où des gens ont peur du métissage peu de temps après la ségrégation raciale au Etats-Unis. Cependant, le producteur Marshall Chess avait une vision plus simple des choses, selon lui “C'était du sexe. Si vous avez déjà vu Muddy à l'époque, l'effet qu'il a eu sur les femmes. Parce que le blues, vous savez, a toujours été un marché féminin".

Ce morceau, qui propulse alors Muddy Waters dans les ventes et en popularité, est aussi déterminant pour Dixon, lui donnant une place importante chez Chess Record.



Dans le nord du pays, à Chicago, performe au 708 Club un certain Bo Diddley. Il manie sa guitare avec son propre style rythmique dans un répertoire très influencé par plusieurs artistes et notamment Muddy Waters. Luthier à l’origine, il joue aux coins des rues et se fait un nom ensuite

La guitare qu'a inventé Diddley
Photo de Bo Diddley

grâce à sa façon si particulière de jouer. Il mériterait plusieurs articles à son sujet, de part de l’influence qu’il a eu sur le monde de la musique avec la création du vibrato, si cher au rock et au hard rock, ou avec la création du diddley beat.

Cependant pour en venir au vif du sujet:

Le 2 Mars 1955, il enregistre I’m a Man qui devient très vite populaire, bien plus que Hoochie Coochie Man. Alors que le secret de ce morceau réside aussi dans son riff, qui est le même que celui du morceau de Muddy Waters, à une note près, devenant ainsi un riff à quatres notes.

Partition de I'm a man

Les paroles quant à elles renvoient aussi à une certaine masculinité, une affirmation de virilité.

Cependant, cette fois-ci le message va plus loin. Dans un contexte où le clivage entre les afro-américains et la population blanche est encore d’actualité, et que des manifestations éclatent, I’m a Man apparaît comme un slogan, plus précisément “I am a man”. Historiquement, dans des pays comme les États-Unis et l'Afrique du Sud , le terme " boy " était utilisé comme une insulte raciste péjorative envers les hommes de couleur et les esclaves , indiquant leur statut social subordonné d'être inférieur aux hommes. En réponse à cela,"Am I not a m

Archives du mouvement social I'm a Man

an and a brother?" devient un slogan utilisé par les abolitionnistes. Et c’est notamment lors des manifestations pour les droits civils lors de la grève de l’assainissement à Memphis en 1968 que des personnes, en réponse à la mort des travailleurs de l'assainissement Echol Cole et Robert Walker. Les décès ont servi de point de rupture pour plus de 1 300 hommes afro-américains du département des travaux publics de Memphis alors qu'ils réclamaient des salaires plus élevés, des heures supplémentaires et demie, une retenue des cotisations, des mesures de sécurité et un paiement pour les jours de pluie quand on leur a dit de rentrer chez eux. Cela a marqué les esprit avec les pancartes avec le slogan affichés et accrochés sur ces hommes lors de leur marche.


I’m a man va donc plus loin et est un symbole permettant de revendiquer les droits humains et d’être reconnu pleinement comme un homme . Cette phrase qui paraît simpliste a donc un lourd pouvoir politique et devient pionnier de grandes avancées sociales.

Tout cela va participer à l'engouement autour du morceau de Bo Diddley et va même faire de l’ombre à Muddy Waters. Sa simplicité et sa popularité vont faire qu’il sera repris par de nombreux grands groupes de rock comme les Yardbirds, les Who, Black Strobe.


Le 24 mai 1955, Muddy Waters va écrire en réponse un morceau intitulé “Mannish Boy”, utilisant le même riff et avec des paroles à l’air simpliste mais qui sont une attaque envers Bo Diddley. Avec l’utilisation du mot “boy” dans le titre qui, comme nous l’avons vu précédemment, renvoie à un terme péjoratif. Il se moque de lui le renvoyant comme un enfant qui n’est pas capable de ce qu’il prétend avec les femmes:


“I spell M - A, child - N That represent man No B - O, child - Y That spell mannish boy”

Ironiquement, ce morceau va devenir encore plus populaire et sera le 45 tour le plus vendu de 1955. Et malgré ses paroles qui renvoient aussi à une masculinité quelque peu toxique, il dégage aussi le même message politique au travers de l’affirmation de l’humanité afro-américaine.


Nous sommes donc remontés à la source. A ses allures simpliste ce simple riff cache une des plus grandes histoires de musique qui a traversé le temps et qui est maintenant sûrement le riff le plus reconnaissable. Il a eu une influence sur un bon nombre de groupes qui l’ont repris et utilisés, comme les groupes cités précédemment et même les Rolling Stones:



Qui ont même une version live avec Muddy Waters:



Ou bien même Jimi Hendrix:










Les sources c'est important




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